La non transgression linguistique de Lacan
Jacques Lacan est un Personnalité importante de la Psychanalyse française; il n'est hélas pas parvenu à aller au bout de son étude du signifiant. Prisonnier d'un savoir linguistique saussurien, il n'a jamais osé franchir la barre signifié/signifiant. Il n'a vu que le jeu des signifiants sous la barre, sans comprendre qu'il existe des unités inconscientes référent/signifié/signifiant qui construisent tous nos mots qui ne sont plus les plus petites unités de sens de nos langues.
L'expérience psychanalytique de Lacan découvre qu'il n'y a pas d'inconscient sans langage et que l'inconscient est structuré comme un langage. Mais il n'est pas toujours facile de suivre les arcanes alambiquées du style lacanien. D'après lui, la discipline linguistique tient «dans le moment constituant de l'algorythme S/s, signifié sur signifiant, le sur répondant à la barre qui en sépare les deux étapes».
Pour reprendre le mot arbre, Lacan affirme que «ce n'est pas seulement à la faveur du fait que le mot barre est son anagramme, qu'il franchit celle de l'algorythme saussurien. Car, décomposé dans le double spectre de ses voyelles et de ses consonnes, il appelle avec le robre et le platane les significations dont il se charge sous notre flore, de force et de majesté». Il semble que Lacan, même s'il n'en tire aucune conclusion linguistique, ait bien perçu que le signifié arbre était spécifique au français et renvoyait à des référents habituels de la flore de France, ce qui aurait dû le conduire à évoquer la variabilité systématique du signifié en fonction des langues. Mais, et c'est à la fois amusant et défoulant de le souligner, quand il attribue majesté et force au signifié arbre français, il définit, à son insu, le sens inconscient de la séquence littérale ar inaugurant le mot arbre qui, comme énoncé dans une page prochaine, marque la prééminence, le sommet ou la menace !
Pour Lacan, le signifiant prime sur le signifié. Ce franchissement de la barre entre signifié et signifiant se ferait pour lui par le jeu des signifiants entre eux, chez chaque individu, avec un glissement incessant du signifiant sous le signifié qui s'effectue en psychanalyse par les formules de la métonymie et de la métaphore, qu'il nomme «lois du langage» de l'inconscient
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1) La métonymie qui "rend compte du déplacement dans l'inconscient", est une figure de style où l'on exprime un signifié au moyen d'un signifiant désignant un autre signifié qui lui est uni par une relation nécessaire : la cause pour l'effet, le contenant pour le contenu, la partie prise pour le tout, comme boire un verre (pour le vin qu'il contient), la voile pour le bateau. La métonymie, si originale soit-elle, s'appuie sur un rapport de contiguïté qui est donc toujours donné par la langue elle-même. Ainsi le signifiant arbre cacherait une forêt de signifiés, dont la densité est fonction de la richesse des champs sémantiques de chaque individu. Nous rangeons les mots dans des «tiroirs» par classe sémantique : monde vivant / végétaux / forêt / arbre / chêne / branche / bois / lignite... Certes le mot bois, la matière ligneuse de l'arbre, dérive par métonymie du bois, espace couvert d'arbres, la matière étant prise pour l'ensemble, mais cela n'explique absolument pas pourquoi c'est cette partie-là et, seulement celle-là, qui est apte à la métonymie. Pourquoi branches ou feuilles ne représentent pas le bois ? Cette métonymie ne s'explique pas en anglais où la matière du bois se dit timber et le bois (forêt) wood. Il y a bien dans la matière du signifiant des messages précis qui résonnent, mais Lacan n'a pas détecté sous l'écorce phonique du signifiant sa substantifique moelle. Il serait dommage (en l'exprimant avec un peu d'humour) que l'histoire de la psychanalyse mondiale, ne le retienne que comme un rejeton, une petite branche sans défense, greffée sur la souche freudienne.
2) «La langue latine étant la vieille souche, c'était un de ses rejetons qui devait fleurir en Europe». Cette métaphore d'Antoine Rivarol introduit la seconde figure de style par laquelle Lacan entend le jeu et la fonction des signifiants : «La formule de la métaphore rend compte de la condensation dans l'inconscient». Un mot pour un autre, un mot concret pour un mot abstrait, un transfert de sens par substitution analogique, telle est la définition de la métaphore, figure de style plus fréquente et plus apte à la poésie. La racine du mal, l'arbre de la connaissance, la forêt de symboles, le jardin de la paresse, l'écheveau du temps, l'automne des idées, les fleurs du Mal de Baudelaire sont des métaphores. Le mélange signifié concret/abstrait ne nuit pas à la compréhension. Pourquoi ? Où se situe l'analogie ? Ne s'agit-il que d'images globales ou de relations entre certaines parties des signifiants ? Quand on regarde d'un peu plus près deux exemples de métaphores de Baudelaire, le vin du souvenir et l'alcôve des souvenirs, on peut noter que le verbe souvenir au passé simple se dit souvint, rimant avec le signifiant vin, dont l'abus fait devenir saôul (saôul-vin).
Le signifiant alcôve, proche phonétiquement d'alcool, rappelle ce vin d'autant plus qu'il porte cette lettre v(vin, vendange, vigne, viticulture) et rappelle par "al" le Mal des Fleurs. Vals(e) alambiquée (hic!) des signifiants ! Pourquoi l'alcoolique se versa-t-il un dernier verre de vin, qu'il vida, cul sec et l'oeil humide ? Faut-il être devin pour concevoir qu'il avale d'un trait avide ses gros maux ? Comment ne pas entendre dans le flot des mots que, soudain volubile, il déverse et vomit, la motivation réelle de ses maux ? Arbitraires les lettres ? Si l'on visualise le V de haut en bas, n'est-il pas une sorte d'entonnoir, une figure symbolique du verre, du vase ou du pot de vin?
Les eaux minérales qui se boivent au verre viennent-elles de Vichy, Vittel, Volvic, Evian, Vals, Wattwiler, Contrexeville, Jouvence, par hasard. Le Saint Patron des Vignerons se nomme t-il Vincent par pure convention ? In vino veritas, dit le dicton latin.
«Un soir l'âme du vin chantait dans les bouteilles
Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité! »
Charles Baudelaire
Lacan avait bien saisi que le langage de l'inconscient jouait avec le matériau du signifiant.Comme il l'écrit, à juste titre, «l'inconscient ne connaît que les éléments du signifiant», il «est une chaîne de signifiants qui se répète et insiste».Lacan relève le mode selon lequel l'inconscient opère, ainsi que Freud l'avait décelé par la production de condensations et de déplacements le long des mots «sans tenir compte du signifié oudes limites acoustiques des syllabes». En reprenant l'oeuvre de Freud et en la recentrant sur le langage, Lacan va plus loin, il affirme qu'au commencement était la chaîne des signifiants, un signifiant préséant au signifié, dont la structure commande les voies du réseau du signifié. «Le mot n'est pas signe mais noeud de signification», qu'il aurait dû dénouer, puisque l'analyse est étymologiquement l'art de délier les noeuds ! Mais en donnant un coup de ciseaux entre les deux plans signifié/signifiant du langage, Lacan tel Alexandre sectionnant le noeud gordien, incapable de le défaire devant son apparente complexité, explique alors que «noeud veut dire la division qu'engendre le signifiant dans le sujet... divisé par le langage», mais continue d'affirmer de façon répétée que «l'inconscient a la structure radicale du langage» qui lui-même «implique l'inconscient», qu'il en est la condition. En résumant, Lacan nous dit que l'inconscient est un langage, constitué des éléments du signifiant, préexistant au signifié. Il va jusqu'à avancer que l'inconscient est pure affaire de lettre, et comme tel, à lire !«Nous désignons par lettre ce support matériel que le discours concret emprunte au langage... Ce support matériel ne se réduit pas aux lettres de notre alphabet, qui ne sont jamais qu'un des modes». Avec le risque, comme dit Lacan, d'apprendre en s'alphabêtissant. «Tout découpage du matériau signifiant en unités, qu'elles soient d'ordre phonique, graphique, gestuel ou tactile, est d'ordre littéral. Si toute séquence signifiante est une séquence de lettres, en revanche, pas toute séquence de lettres est une séquence signifiante». Voilà, Lacan est parvenu à définir presque complètement les caractéristiques du langage de l'inconscient, jusqu'à préciser qu'il existe des unités faites de séquences de lettres dont certaines sont signifiantes et d'autres non, mais il n'est pas parvenu à découvrir le véritable code. Pourquoi le sens systématique de certaines séquences répétées du signifiant lui a échappé ? Trop intelligent pour découvrir un code finalement relativement simple, peut-être ? Il écrit que le sujet est divisé par le langage mais ne poursuit pas sa logique en ne comprenant pas que cette division est due à l'existence de deux langages, un inconscient et un conscient, un immédiat structuré par l'hémisphère droit et un média conditionné par apprentissage dans l'hémisphère gauche, le premier étant préséant au second. Trop conditionné sans aucun doute par une remarquable formation linguistique, il n'ose franchir la barre signifiant/signifié, il ne transgresse pas l'enseignement de ses amis linguistes et au contraire leur prête main forte et, alors, se fourvoie: «le signifiant existe en dehors de toute signification, il n'a pas fonction de représenter le signifié». Avec un peu d'humour, il s'agit là d'"unbévue" lacanienne, hélas pas la seule! (unbewust = inconscient ou plutôt insu en allemand).
La suite de ce site démontrera que le signifiant a bien la fonction de représenter le signifié, de le symboliser. Plus précisément le signifiant est composé d'unités séquentielles littérales signifiantes inconscientes, dont l'origine est bien préexistante à des unités signifiées inconscientes qu'elles représentent et sont coexistantes à la perception sensorielle ou émotive de certaines caractéristiques du référent. Ainsi le signifiant conscient saussurien est un assemblage d'unités signifiantes inconscientes, véritables noeuds doubles du signifiant que Lacan n'aura pas su dénouer. S'il écrit que «la science dont relève l'inconscient est la linguistique», il ne peut pas s'agir de la linguistique conventionnelle saussurienne qui ne s'intéresse qu'à la partie secondaire du langage, sa partie émergée consciente. D'ailleurs Lacan énonce que la nature du langage de l'inconscient ne concerne pas le découpage de la chaîne en fonction d'un signifié, qui toujours et sans cesse se dérobe, mais en fonction des propriétés de la chaîne signifiante elle-même. Même intelligents, nous sommes bornés par le Savoir que nous avons acquis par apprentissage et dont la mémorisation conditionne notre logique de pensée. Ce savoir n'est jamais qu'un voir ça, qu'une vision pré-établie par conditionnement qui nous aveugle.
extrait du Livre
Entendre les mots qui disent les maux
auteur : docteur Christian Dufour Juin 2006
Editions du Dauphin (Paris)
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