Créer un site internet

-Motivation des signes linguistiques 

                                         « Le principe de l’arbitraire du signe n’est contesté par personne »

G. BOHAS 

1. La motivation : La motivation subjective dans la conception structuraliste du signe linguistique

Pour Saussure (1916 in 1995 : 99), le signe linguistique combine un concept et une image acoustique, plus techniquement, un signifiant et un signifié.

:

Le rapport entre ces deux composantes du signe linguistique a été précisé par Benveniste (1939, in 1966): «Entre le signifiant et le signifié le lien n’est pas arbitraire, il est nécessaire. Le concept (signifié) « arbre » est forcément identique dans ma conscience à l’ensemble phonique (signifiant) [arbr]. »

Quelle est maintenant la nature du rapport entre le signe linguistique et le référent ?

Ce rapport est arbitraire, comme le montre le fait qu’en français on a  arbr et en anglais  tri

pour un même référent. Pour schématiser 

 

signifié = « arbre »

signifiant [arbr]

signifié = « arbre »

signifiant [arbr]

signifié = « arbre »

signifiant [tri]

REFERENT

- 2 -GB Motivation

============================================= zone de l’ arbitraire

LANGUE

« Ce qui est arbitraire c’est que tel signe et non tel autre soit appliqué à tel élément de la réalité et non à tel autre. » C’est cette relation entre les deux qui constitue la zone de l’arbitraire. En d’autres termes, il n’y a rien qui motive que le signe

soit appliqué en français au référent :

signifié = «arbre»

signifié = « arbre »

signifiant [arbr]

signifiant [tri]

signifié = « arbre »

signifiant [arbr]

Une formulation lapidaire du principe par Martinet (1993) : « En termes simples, il [l'arbitraire du signe] implique que la forme du mot n'a aucun rapport naturel avec son

- 3 -  Motivation

sens : pour désigner un arbre (i.e. le référent), peu importe qu'on prononce arbre, tree, Baum ou derevo. »
En fait, l'affirmation de Martinet ne tient que parce que l’exemple est bien choisi. Pour montrer qu’il n’y a ici aucun argument, il suffit de réécrire la phrase en prenant un autre mot : « En termes simples, il [l'arbitraire du signe] implique que la forme du mot n'a aucun rapport naturel avec son sens : pour désigner une fenêtre, peu importe qu'on prononce croisée, ventana, šubbâk, janella, onko ou windows ... » pour en faire

apparaître la nullité. 1

Lamy (1699) écrivait déjà :

Le français l’espagnol et le portugais viennent du latin, mais les espagnols, considérant que les fenêtres donnent passage aux vents, ils les appellent ventana, de ventus. Les portugais ayant regardé les fenêtres comme de petites portes, ils les ont appelées janella, de janua. Nos fenêtres étaient autrefois partagées en quatre parties avec des croix de pierres, on les appelait pour cela des croisées, de crux.

En arabe, šubbâk veut dire “filet, grillage” : la fenêtre est donc nommée comme étant un endroit grillagé. Pour le lecteur occidental, il peut penser au moucharabiyyeh afin d'avoir une approximation.
En russe, okno, la fenêtre, est à relier à oko, “œil” . La fenêtre est un petit œil, ce qui rappelle le français “œil de bœuf” ; on a donc une métaphore : la fenêtre est comme un œil et, couronnement suprême, en anglais, windows est composé de “wind” : “vent” et de ows ; d'où vient ce composé ? From Old Norse ‘vindauga,’ literally “wind’s eye.” “Windows”est donc l'œil par lequel passe le vent.

Quelle laisse entrer le vent, qu’elle soit une petite porte, qu’elle forme une croix, qu’elle soit obstruée par un grillage, ce sont des propriétés, des caractéristiques des fenêtres, des objets fenêtres, et la fenêtre a été nommée en suivant une de ces caractéristiques, différente dans chaque langue, ou par une métaphore impliquant l’œil. Donc tout est motivé. On saisit alors combien est vain l’argument proféré par certains linguistes qui tentent de mettre les rieurs de leur côté : si le signe était motivé, nous parlerions tous la même langue ! Tu parles ! Il suffit de considérer les noms de

fenêtres dont nous venons de parler pour constater que chaque terme est différent et 2

motivé. En fait cet argument n'est pas récent : c'est une resucée de Sextus Empiricus : “Si les mots avaient une signification naturelle, les grecs comprendraient les Barbares et les Barbares les grecs” .
Si l’on se fonde sur cet exemple, on peut conclure le contraire de ce que proposait Martinet, à savoir que tout est motivé. De plus, les exemples de Martinet ne sont pas si bien choisis qu'on pourrait le croire : en russe derevo veut dire : « qui est en bois » : on tient justement une caractéristique des arbres et le terme est donc motivé dans cette langue aussi. Si l’on veut être sérieux, il ne faut donc pas se fonder sur quelques exemples particulièrement bien choisis, mais sur des études massives et bien analysées. Saussure ajoute à la formulation de son postulat : « Le principe de l’arbitraire du signe n’est contesté par personne », Rappelons que l’adoption de ce postulat caractérise non seulement le mouvement structuraliste issu du Cours, mais aussi l’école générativiste. Dans le dernier ouvrage de Chomsky paru en français ; Nouveaux horizons dans l’étude du langage et de l’esprit (Pairs, Stock, 2005), on trouve cette affirmation « Les langues diffèrent manifestement et nous voulons savoir pourquoi. L’un des aspects par lesquels elles diffèrent demeure dans le choix des sons, qui varient à l’intérieur d’un certain registre. Un autre aspect réside dans l’association, essentiellement arbitraire, du son et

1
Voir Dat (2002).

2
Desbordes (2007), p. 166.

- 4 -GB Motivation

de la signification. Ces aspects vont de soi et il n’est pas nécessaire de s’y arrêter ». On ne saurait mieux dire...
Dans leurs divers écrits, les arbitristes font une petite concession, comme le fait Saussure p. 101 : « on pourrait s’appuyer sur les onomatopées pour dire que le choix du

signifiant n’est pas toujours arbitraire ». On entend par onomatopée Création de mots 4

par imitation de sons évoquant l'être ou la chose que l'on veut nommer . Saussure s’emploie ensuite à réduire au maximum les vraies onomatopées. «Quant aux onomatopées authentiques (celles du type glou-glou, tic-tac, etc.), non seulement elles sont peu nombreuses, mais leur choix est déjà en quelque mesure arbitraire, puisqu'elles ne sont que l'imitation approximative et déjà à demi conventionnelle de certains bruits ... » Saussure (1916, p. 102).

Certes l’onomatopée ne prétend pas offrir un double sonore parfait de ce qu’elle désigne et n’est, en effet, qu’une schématisation et une approximation. L’onomatopée ne peint les référents que pour les évoquer et non pas pour les reproduire, elle repose sur ce que R. Lafont (2000, p. 80) appelle l’anamorphose : « Un système de transfert formel, d’une substance sonore ou inorganisée (un bruit naturel) ou autrement organisée (l’émission animale) à l’organisation phonologique humaine ». En témoigne la variété des onomatopées du cri du coq :

Français cocorico
Italien chichirichi
Turc üürüü
Anglais cockadoodledoo
Arabe marocain : kuku&u ou ququ&u
Nous parlerons pour cette motivation onomatopéique de type glou-glou, cui-cui de motivation subjective. Il est bien évident que cette motivation subjective manifestant elle-même une grande part d’arbitraire ne constitue pas une objection sérieuse au postulat saussurien.

2. La théorie des matrices et des étymons

Tant qu’on reste dans le cadre structuraliste de l’organisation du lexique en monèmes ou en morphèmes composés de phonèmes on ne peut aller plus loin. Plus explicitement, concernant l'arabe, tant qu'on reste dans un cadre où la racine est l'élément primitif du lexique, on ne peut pas aller plus loin. Il n’en va pas de même si l’on adopte le cadre que j’ai proposé pour les langues sémitiques et que j’ai appelé TME « théorie des matrices et des étymons » ou précédemment MER (matrices, étymons, radicaux). Dans cette théorie, le lexique s’organise en niveaux .

6
1. matrice : (μ) combinaison, non ordonnée linéairement, d'une paire de vecteurs de

traits phonétiques, au titre de pré-signe ou macro-signe linguistique, liée à une notion générique. C’est le niveau où la « signification primordiale » n’est pas liée au son, au

3
J'emprunte ce terme à Toussaint qui a fait dans ce domaine un travail de pionnier, dont il a été fort mal

récompensé. 4

TLF. 5

Ces deux termes désignent aussi le coq dans le langage enfantin. Le verbe "chanter" (en parlant d'un

coq) est directement branché sur l'onomatopée : qawqa&. 6

Nous avons retenu la proposition qui a été faite dans Kouloughli (2002) pour désigner par « vecteur » chaque colonne de la matrice.

5

3

- 5 -GB Motivation

phonème, mais au trait phonétique, qui, en tant que matériau nécessaire à la constitution du signe linguistique, forme «palpable», n’est pas manœuvrable sans addition de matière phonétique supplémentaire. Les sons y apparaissent au titre de traducteurs d’une articulation qui évoque un objet.

2. étymon : (∈) combinaison, non ordonnée linéairement, de phonèmes comportant ces traits et développant cette notion générique. L’étymon n’est pas à mettre sur le même plan que ce qu’on appelle traditionnellement racine biconsonantique ; bien plutôt, c’est l’élément qui est à la base des structures pluriconsonantiques.

3. radical : (R) étymon développé par diffusion de la dernière consonne, préfixation ou incrémentation (à l’initiale, à l’interne et à la finale) et comportant au moins une voyelle, enregistrée dans le lexique ou fournie par les mécanismes morphologiques de la langue, et développant l'invariant notionnel matriciel / étymonial.

Pour donner une idée plus précise de l’organisation proposée et de son incidence sur la question, le mieux est de passer à l’étude d'une matrice et les objections qu’elles posent au postulat arbitriste s’imposeront d’elles-mêmes.

3. La matrice {[+nasal], [+continu]} et la notion de motivation intrinsèque

Toute matrice est formée d’un composant phonétique lié à un invariant notionnel. Dans la première matrice que nous allons étudier, le composant phonétique est le suivant : {[+nasal], [+continu]}.

Composant phonétique

La matière phonétique de cette matrice est constituée d’une part par les deux nasales, m et n, et, d'autre part, par les diverses fricatives. [+nasal] constitue ce que nous avons appelé dans Bohas et Dat (2007 : 179, 220, 221) l’élément pivot de la matrice et [continu] l’élément satellite. L'élément pivot confère au groupe matriciel la charge

mimophonique. On s'attend donc à trouver dans d'autres langues le même pivot avec 7

d’autres satellites .

Invariant notionnel

Les ramifications de l’invariant notionnel seront les suivantes : 1. Le nez
1. 1. l’organe lui-même et ce qui l’affecte
1. 2. spécification des parties (le haut, les côtés)

1. 3. être pointu>saillant>précéder>commencer
2. 1. spécifications de l’organe (gros, petit...)
2. 2. animal ou humain qui présente ces spécifications
3. Lever le nez : mouvement d’orgueil ou de mépris
4. Le nez et l’air : inspirer, expirer, percevoir des odeurs, flairer
5. L’influence du nez sur la voix : son nasillard ; cris d’animaux ressemblants (bourdonnement-grognement)
6. Diverses sécrétions (morve, glaires) qui passent par le nez ou liquides qui rentrent dans le corps par le nez

Analyse des données lexicales

7
Pour plus de développements sur ce point, voir Bohas et Dat (2007).

L’étymon {n,›}, dans l’ordre ›+n

›anna ›unânun ›unnatun

pleurer ou rire d’une voix nasillarde, comme par les narines 5.
morve des chameaux 6.
voix nasillarde, parler par le nez plus fort et plus désagréable que TMunnatun

5. rires ou pleurs accompagnés d’un son nasillard 5.

na››ârun

na›a®a F.VIII na›afa

F. IV

11

- 6 -GB Motivation

La présentation des analyses peut se faire de deux manières : reprendre les rubriques du tableau ci-dessus et disposer les mots analysés sous chacune d'elles. Le problème, en ce cas, est que certains mots entrent dans plusieurs rubriques. L'autre solution, que nous allons suivre dans l'analyse de cette matrice, consiste à indiquer dans une colonne (à droite) la ou les rubriques dans lesquelles entrent les mots.

8
Les données sont tirées de Kazimiro qui est la base de données en laquelle nous avons

transformé le dictionnaire Kazimirski.

I- Étymons impliquant la nasale n 9

›anînun
’a›annu, pl. ›unnun qui a une voix nasillarde, qui parle ou rit par le nez (syn.’aTMannu) 5. ma›annatun nez, ou bout du nez 1./1.2
voix nasillarde. yatakallamu belmaxannati il parle par le nez 5.

›an›ana

le haut du nez 1.2. fig. fierté, orgueil 3.

au duel, al›anâbatâni les deux extrémités du nez, ou les deux ailes ›abana rire ou pleurer par le nez, avec un son nasillard 5.

dans l’ordre n+›

10
na›ara ronfler 4.

nu›aratun pointe du museau, du groin 1.2.

narine

parler d'une manière inintelligible, p. ex., par le nez, au point qu'on ne peut pas distinguer les paroles (comp. ›anna) 5.
avoir la morve 6.
morve 6.

›aniba
›anabun
›innâbun
›inâbatun, ›innâbatun et ›unnâbatun bout du nez grand et gros 1.2/2.

qui a un gros nez 2.1.

1.2. narine 1.2. 1.1. grand ronfleur, épithète du cochon 2.2.

ôter ou jeter les glaires du nez en se mouchant, se moucher 6.
jeter les glaires du nez, se moucher 6.
faire sortir l'air par le nez, comme si l'on voulait jeter les glaires4./6. aspirer l'air par le nez 4.
renifler 4./6.

man›ar, min›arun, mun›arun nez

du nez 1.2.

8
D. E. Kouloughli, G. Bohas et certains de leurs étudiants.

9
Dans Bohas et Darfouf (1993), il a été longuement démontré que les étymons ne sont pas ordonnés.

Voir aussi Bohas (1997).

10
Pour ce sens, ce verbe peut être mis en rapport avec l’étymon {›,r} : ›arra : ronfler, ›ar›ara : ronfler,

voir Saguer (2002b) pour les acceptions : narine, nez c’est l’analyse {n,›}r qui s’impose.

11
Ce radical est sans doute obtenu par croisement (sur ce processus voir Bohas, 1997) : n› x ›® ce second

étymon étant lié à la notion d’expulser vers l’extérieur (›a®a’a : jeter au dehors, jeter à l’extérieur).

na›iyf na›matun nu›âmatun

respiration qu'on fait sortir par le nez, comme si l'on jetait les glaires 4./6.

Ce que l'on jette par la bouche ou par le nez, comme pituite, glaire, etc. 6.

Pituite ou glaire que l'on jette par la bouche ou le nez 6.

naša’a F. X nušû’un

13

14

našaTMa -Au passif

našûTMun

našiqa našaqun našûqun

manšaqun našâ našwatun

naša‘a F. IV F.VIII našû‘

étymon {n,TM}

TMunnatun ’ agannu

naTMafun

son nasillard, son rendu par le nez 5.
bourdonnement des insectes 5.
qui parle par le nez, qui rend un son nasillard, une voix nasillarde 5.
qui fait entendre une voix, des accents (se dit des oiseaux qui chantent, ou des gazelles qui font entendre une voix qui leur est particulière) 5.

sorte de ver qui s'engendre dans le nez des brebis et des 15

chameaux 6.

- 7 -GB Motivation

étymon {n,‡}
‡anna couler dégoutter, tomber (se dit de la morve) 6.
‡unânun et ‡anînun morve, mucosité très liquide qui coule du nez (chez l’homme ou

chez les chameaux 6.
’ a‡annu morveux 6. na‡î‡un salive ou glaire ; ce qu'on jette par le nez ou par la bouche6.

étymon {n,š} 12

avoir senti quelque odeur en flairant 4. bonne odeur 4.

injecter ou introduire dans le nez ou dans la bouche un médicament 6.

injecter ou introduire un médicament dans le nez ou dans la bouche 6. prendre un médicament en l'introduisant dans la bouche ou dans le nez 6. médicament que l'on prend par injection dans la bouche ou dans le nez 6.

qui intercepte la respiration 4.
injecter ou introduire dans la bouche ou dans le nez un médicament 6.

se laisser sans difficulté introduire ou injecter un médicament dans le nez ou dans la bouche 6.
médicament que l’on injecte dans les narines ou dans la bouche d’un malade 6.

aspirer quelque chose, attirer dans les narines 4.
odeur 4. poudre qui se prend par le nez, par l'aspiration, ou tout médicament dont on aspire l'odeur ou la vapeur 6. organe de l’odorat ; nez ou narines 1.1. ressentir une odeur 4.
odeur que l’on ressent, qui frappe l’odorat 4.

12
Pour le sens « grandir », ce radical s’analyse en n{š’}.

13
Ce radical manifeste aussi le sens de « arracher ou enlever violemment » pour lequel se justifie

l’analyse n{š’}. 14

Ce radical a aussi le sens de « boire de l’eau en puisant avec le creux de la main » et on peut donc l’analyser comme n{šTM}, l’étymon {šTM} se manifestant aussi dans : šaTMšaTMa « boire à petits traits ».

maladie) étymon {n,f}

6.

1.1. 3. 1.1.

1.1. 1.1.

’ anfun ’anfaanun ’anafa

’anifa

F. II

F. VIII

F. X

’ anifun ’ ânifuun

’ unâfiyyun nafa®a

FV

II-Etymons impliquant la nasale m

‡aman étymon {m,š}

šamma

F. II F. III F. IV

šamamun ’ ašammu

odeur désagréable 4.

flairer 4.
se donner des grands airs, se montrer fier 3.
flairer 4.
flairer quelqu’un, en s'approchant de lui 4.
flairer 4.
faire flairer quelque chose, donner quelque chose à flairer, à aspirer à quelqu’un 4.

passer à côté de quelque chose en levant la tête, le nez en l'air 3.
belle forme du nez, qui consiste en ce qu'il est dégagé et fin, que sa partie supérieure est égale, qu'il est un peu saillant vers la fin et puis ramené en bas 2.1.
qui a le nez bien fait, mince, droit, un peu saillant vers l'extrémité, et puis descendant tout à fait au bout. De là 1.2.
fier, qui porte la tête haute, et susceptible à l'endroit de son honneur ou de son droit 3.

- 8 -GB Motivation

nagafatun ordures sèches que l'on retire du nez 6.
nagifa avoir beaucoup de vers dans le nez (se dit d'un chameau atteint de cette

nez
qui porte le nez haut ; fier
arriver, monter jusqu'au nez, atteindre le nez frapper quelqu’un sur le nez, au nez

avoir mal au nez
se détourner ou s'abstenir de quelque chose par pudeur, par honte 3. faire rougir quelqu’un 3.
incommoder quelqu’un 3.
rendre pointu, faire terminer en pointe 1.3.
aborder le premier quelque chose ; prendre quelque chose par la partie antérieure et saillante ; commencer par le commencement 1.3. commencer 1.3.
qui a mal au nez 1.1.
qui a mal au nez 1.1.
qui précède, qui est en première ligne. 1.3.
qui a un grand nez. 2.1.
éternuer et jeter quelque chose du nez (se dit d'un bouc) 6.
avoir le nez couvert de postules (se dit des chèvres) 1.1.
éternuer et jeter les glaires du nez (se dit d'un bouc) 6.

étymon {m,‡}
‡ammalaisser couler la morve, dégoutter de...(se dit du nez) 6.

15
Ces trois mots ne désignent pas directement la morve, mais lui sont fortement connectées.

- 9 -GB Motivation

étymon {m,z}
wamaza remuer le nez (en parlant, p. ex., d'un homme agité par la

colère ou par quelque autre affection de l'âme) ; avoir un tressaillement du nez 1.1.

4. Reprise de l'argumentation

On ne peut manquer d’observer qu’il y a une masse de termes qui réalisent cette matrice {[nasal], [+continu]} lesquels tournent tous autour de l’invariant notionnel « le nez». Pourquoi ne s’en est-on pas aperçu plus tôt? Simplement parce que l’organisation des dictionnairesen racines, qui sont des composés ordonnés de phonèmes, occulte complètement les relations que l’organisation en traits met en valeur. Pour nous, l’émergence du sens, la combinaison du son et du sens se situe au niveau de la matrice. Si donc on motive la relation entre les traits phonétiques qui composent cette matrice et l’invariant notionnel « le nez », on motive ipso facto tous les mots qui en sont issus.

Cette corrélation entre les [nasal] et l’invariant notionnel qui s’organise autour du nez, ne semble pouvoir s’expliquer que par la motivation corporelle, le trait [nasal] étant, le traducteur d’une articulation ou sonorité traductrice d’un signifié. Si l’on admet, que le signe linguistique est arbitraire, selon Martinet, (1993) rappelons-le: «En termes simples, il [l'arbitraire du signe] implique que la forme du mot n'a aucun rapport naturel avec son sens : pour désigner un arbre, peu importe qu'on prononce arbre, tree, Baum ou derevo. », les données que nous venons d’analyser devraient poser un problème : il semble en effet difficile de nier l’existence d’un rapport naturel entre [nasal] et le nez, ce rapport étant de type mimophonique. Nous entendons par mimophonie qu’il existe une analogie entre la matière phonétique de la matrice et l’objet auquel renvoie l'invariant notionnel. Selon Guiraud (1967), les bases physiologiques de cette analogie sont de trois types : « acoustique, là où les sons reproduisent un bruit ; cinétique, là où l’articulation reproduit un mouvement ; visuelle, dans la mesure où l’apparence du visage (lèvres, joues) est modifiée; ce qui comporte d’ailleurs des éléments cinétiques. » Pour nous, la mimophonie est donc conçue comme une caractéristique des signes linguistiques qui conservent des propriétés naturellement perceptibles des objets auxquels ils renvoient. Si une masse de termes se rattachent à quelques matrices, comme nous venons de le montrer pour cette matrice et si ces matrices trouvent une justification mimophonique, il est bien difficile d'admettre que la langue est une pure forme sans attaches avec la réalité et que le signe linguistique est arbitraire

Une fois que l’on a motivé cette relation entre le trait [nasal] et « le nez », on doit se demander comment cette combinaison se réalise, en d’autres termes, essayer d'aller plus loin que la perception d'une analogie. Ici le linguiste ne peut pas rester dans son domaine, il lui faut se tourner vers les sciences cognitives. Justement, Allott a tracé la voie dans de multiples travaux, qui sont à la disposition de tous sur la Toile (et dont les linguistes français ne semblent pas tenir grand compte, du moins à notre connaissance),

comme dans The Physical Foundation of Language (1973), part one, chapter one : 16

Hypothesis of Phonological/Semantic Equivalence .

A. Tout acte d’énonciation est associé à un schéma invariant spécifique au niveau de l’organisation du cerveau. Ce schéma est celui qui sous-tend la forme et la

16
http://www.percepp.demon.co.uk/pfollst.htm. Je remercie Dennis Phelps d’avoir traduit toutes les

textes anglais cités ici.

- 10 -GB Motivation

coordination des processus articulatoires impliqués dans l’acte d’énonciation [d’un mot].
B. Le schéma associé ainsi à l’acte d’énonciation [d’un mot] n’est pas dérivé tout simplement du processus articulatoire : il est antérieur à celui-ci et entretient une relation particulière à l’égard de la signification du mot.

C. Cette relation particulière entre le schéma d’un mot et la signification de celui-ci peut prendre différentes formes selon la catégorie du mot en question.

- le cas le plus simple concerne les mots qui renvoient au corps humain, à ses [différentes] parties, ou à des actions qui renvoient au corps. En ce cas, le schéma sous-tendant le mot se trouve être, typiquement, le produit de l’état d’organisation cérébrale qui accompagne le mouvement de la partie du corps concernée, la désignation [gestuelle] de celle-ci (par exemple en pointant du doigt) ou bien, plus généralement, qui accompagne la perception de cette partie du corps ou la perception d’un sentiment corporel spécifique ;

- dans ce cas, le moins problématique, la relation entre le schéma articulatoire du mot et le schéma d’organisation cérébrale associé au mouvement de la partie du corps désignée existe parce que le cerveau est un organe unique qui fonctionne de manière intégrale. Le mouvement d’une partie du corps modifie celui des autres parties du corps, y compris les organes et muscles articulatoires ;

- de même, il existe généralement une relation spécifique, non arbitraire, entre les mots qui renvoient à des actes de perception (entendre, voir) et le percept spécifique qui constitue la signification d’un mot quelconque. De sorte que le fait d’entendre un son produit un schéma d’organisation cérébrale qui se transforme en un processus articulatoire permettant de produire un mot qui désigne le son en question.
La combinaison du son [nasal] et de l’invariant notionnel « nasalité » compris comme tout ce qui a à voir avec le nez semble bien se situer à ce que Allott appelle le niveau le plus simple. « le cas le plus simple concerne les mots qui renvoient au corps humain, à ses [différentes] parties, ou à des actions qui renvoient au corps. En ce cas, le schéma sous-tendant le mot se trouve être, typiquement, le produit de l’état d’organisation cérébrale qui accompagne le mouvement de la partie du corps concernée »
Soyons bien clairs : toute la motivation dont nous avons parlé jusqu’ici n’a rien à voir avec l’onomatopée du type glou-glou,cui-cui, tic-tac, etc. Quand je dis que šamma «flairer» rubrique4. est motivé parce qu’il est un développement de la matrice [+nasal] [+continu], il n’y a en cela aucune onomatopée du type glouglou. La motivation tient à la mimophonie, ou, comme le dit Allott, à ce que, en ce cas, le schéma sous-tendant le mot se trouve être, typiquement, le produit de l’état d’organisation cérébrale qui accompagne le mouvement de la partie du corps concernée. Cette motivation qui tient à l’organisation même de l’être humain est le plus souvent inconsciente, et c’est pour cela qu’il est si facile de « faire avaler » aux gens que le signe est arbitraire. En revanche, on peut amener les gens à une prise de conscience, et c’est ce que nous sommes en train de faire – du moins je l'espère – : ne vous paraît-il pas curieux que dans les mots suivants : français, nez, italien, naso, anglais, nose, arabe ’anf, turc burun il y ait une nasale ? Ne vous paraît-il pas curieux

qu’il en aille de même dans un grand nombre de langues, comme cela apparaît dans la 17

liste suivante : Afrikaans

neus

17
Extraite de http://en.wiktionary.org/wiki/nose dont nous reproduisons les termes sans changer les

transcriptions.

Albanian
Bosnian
Breton
Catalan
Czech
Danish
Dutch
English (Old English) Esperanto

Faeroese Finnish Frisian German Greek Hungarian Icelandic Italian Latin Malay Norwegian Papiamento Polish Portuguese Romanian Russian

18
À prononcer : nos.

hundë nos fri

nas
nos
næse
neus
nosu
nazo
nøs
nenä
noas
Nase
μήτη
orr
nef
naso
naris; nasus hidung nese nanishi

nos nariz nas нос

- 11 -GB Motivation

18

- 12 -GB Motivation

Scottish Gaelic sròn Spanish nariz Sranan noso Swahili pua Swedish näsa Tagalog ilóng Turkish burun Y ucatec ni'

Il ne reste que le hongrois, le swahili ou le breton où cela n’est pas le cas. On objectera

le chinois pi ou bi. Il n’y a certes pas de [nasal] car le mot est relié au champ conceptuel 19

du «mouvement de l’air »: autre aspect de la mimophonie. Pourquoi cette

unanimité ? Pourquoi observe-t-on dans presque toutes les langues cette corrélation 20

entre le nez et la présence d’une nasale dans le nom qui le désigne ? La réponse arbitriste ferait appel au hasard. On finit bien par amener les gens à découvrir qu’il y a un rapport entre le nez et les opérations qui lui sont propres (odeur, respirer, sentir) et la présence d’une nasale, mais, que cette prise de conscience s’effectue ou pas, cela ne change rien au fait que cette motivation existe ; on peut parler à ce sujet de motivation intrinsèque ou objective. Elle n'est pas consciente chez le locuteur, mais on peut lui en faire prendre conscience, sauf dans des cas d'arbitrisme désespérés. Tandis que par onomatopée, on entend l’existence d’une évocation consciente chez le locuteur d’une propriété saillante de l’être ou de la chose qu’on veut nommer ; nous avons parlé à ce sujet de motivation subjective. Comme on le voit, il n’y a rien de commun entre cette motivation là et la première, et il importe de les distinguer soigneusement. On ne saurait blâmer Saussure de n’avoir pas eu accès à ce premier type de motivation : les sciences de l’organisation cérébrale sont d’un développement récent. Mais on peut blâmer ses épigones qui sur ce point n’ont pas progressé d’une semelle, n’envisageant toujours que la motivation du type glou glou et cui-cui et négligeant totalement la motivation objective, qui est, évidemment, la seule qui remette en cause fondamentalement le postulat de l’arbitraire du signe.

Revenons au point 3. lever le nez, mouvement d’orgueil ou de mépris. Une fois qu’on a rendu compte du rapport entre le [nasal] et le nez il reste à suivre l’émergence des sens dérivés. Nous venons de voir que « l’orgueil » ou le « mépris » font, en arabe, référence

19
Je remercie mon collègue Frédéric Wang qui m’a fourni cette indication.

20
On m’a objecté qu’en français argotique on désignait aussi le nez par « tarin » . En fait, le dictionnaire

des argots (Esnaut, 1965) donne lui-même la motivation: «le tarin, oiseau à bec conique; d’ou métonymie du tout pour la partie ». Le tarin est en effet un « petit passereau à plumage vert et jaune tacheté de noir, à bec conique très pointu, qui vit dans les régions tempérées (nord de l'Europe, de l'Afrique et de l'Amérique) », voir TLF.

- 13 -GB Motivation

21
au mouvement «lever le nez». En égyptien ancien , dès l’ancien empire, le

classificateur qui indique le nez est le mufle du singe cynocéphale :

On observe que les verbes S.N, iS.NY, S.NS.N et SvSSin quand ils signifient « être contigu », « être au contact intime de » portent ce classificateur. Peut-on expliquer ce fait ? Ici le rapport tient au phénomène éthologique observé chez les cynocéphales ou le soumis fait acte de soumission en flairant le mufle du dominant, le sens premier du terme S.N étant « renifler ». La « contigüité » est donc bien dérivée d’un acte qui implique le nez. Enfin, en français, le verbe renifler dont le sens premier (dans le TLF) [Le suj. désigne une pers.] Aspirer plus ou moins bruyamment l'air ou des mucosités à travers les narines. Ferdinand boucha l'une de ses narines avec le pouce et renifla pour soulager un éternel rhume de cerveau (DUHAMEL, Terre promise, 1934, p. 11):

est évidemment motivé par la présence de la nasale, comme ’anf en arabe, en vient à revêtir le sens de :

1. Fam. Deviner, soupçonner. Synon. flairer (fam.), subodorer. Renifler qqc. de louche. T'es un copain, et un copain pas fier, quoiqu'tu soyes bachelier... J'tai reniflé, comprends-tu, et j'sais comment qu'tu causes (BENJAMIN, Gaspard, 1915, p. 13). Thérèse: Mais ce n'est pas ma faute si je l'aime! Gosta: Non, bien sûr. C'est ton instinct. Je te croyais propre mais tu reniflais l'argent avec ton sale petit museau comme les autres (ANOUILH, Sauv., 1938, I, p. 161).

2. Arg. [Dans des tournures nég.] Supporter. Synon. blairer (pop.), sentir (fam.). Il peut pas me renifler. Il avait bien plu, et à tout le monde, dans ses fonctions. Et puis à un moment donné il a cessé de plaire... Ils en ont eu marre de sa gueule et de ses façons... Ils pouvaient plus le renifler (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 31) (TLF).

On
« deviner, soupçonner » et « supporter », qui paraissent parfaitement arbitraires dans l’organisation standard en morphèmes ou monèmes, trouvent en fait leur motivation initiale au niveau le plus simple : celui des « mots qui renvoient au corps humain, à ses [différentes] parties, ou à des actions qui renvoient au corps ». Ils se développent à partir de composants objectivement motivés, dans le sens que j'ai donné à ce terme. Donc ils sont motivés. Donc tout est motivé, ce qui n'implique absolument pas que les Grecs comprennent les Barbares et les Barbares les Grecs.

voit donc que des concepts comme : « orgueil », « mépris », « contiguïté »,

21
Je remercie Gérard Roquet qui m'a permis de construire cet argument .

- 14 -GB Motivation

BIBLIOGRAPHIE

2
ALLOTT,R.,1973,e 2001,ThePhysicalFoundationofLanguage:theexplorationof

a hypothesis, Hertfordshire, Able publishing.
BENVENISTE, É., 1966, Problèmes de linguistique générale, 1, Paris, Gallimard. BOHAS, G., 1997, Matrices, étymons, racines, éléments d’une théorie lexicologique du vocabulaire arabe, Paris, Louvain.
BOHAS, G., et DARFOUF, N., 1993, « Contribution à la réorganisation du lexique de l'arabe, les étymons non-ordonnés », Linguistica Communicatio, 5/1-2, p. 55-103. BOHAS, G., et DAT, M., 2007, Une théorie de l'organisation du lexique des langues sémitiques : matrices et étymons, Lyon, ENS EDITION.
CHOMSKY, N, 2005, Nouveaux horizons dans l'étude du langage et de l'esprit, Paris, Stock.
DAT, M., 2002a, Matrices et étymons. Mimophonie lexicale en hébreu biblique, Thèse de Doctorat, Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines, Lyon. DESBORDES, F. [Marc Baratin (préfacier), Geneviève Clerico, Bernard Colombat, Jean Soubiran (éds)], 2007, Idées grecques et romaines sur le langage, Travaux d’histoire et d’épistémologie. Lyon : ENS Editions.
ESNAUT, G., 1965, Dictionnaire des argots, Paris, Larousse.
GUIRAUD, P. Structures étymologiques du lexique français, Paris, Payot, 1967, e Paris, Larousse, 1986.
KOULOUGHLI, D. E., 2002, « Compte rendu de Bohas (2000) » Arabica XLIX, 3, p. 387-393.
LAFONT, R., 2000, Schèmes et motivation : Le lexique du latin classique, Paris, L ’ Harmattan.
LAMY, B., 1699 [1969], La rhétorique ou l’art de parler, Brighton, University of Sussex library.
MARTINET, A., 1993, Mémoires d’un linguiste, Paris, Quai Voltaire – Edima. SAGUER, A. R., 2002, 1⁄2âhirat al-isbâq fî l-ju‡ûr al-‘arabiyya, Agadir, publications de l’Université Ibn Zuhr.
SAUSSURE, de, F., Cours de linguistique générale, publié par Ch. Bailly et A. Séchehaye, 1916, éd. critique préparée par Tulio de Mauro, post face de J.-L. Calvet, 1995, Paris, Payot.
TLF in http://www.lexilogos.com/francais_langue_dictionnaires.htm
TOUSSAINT, M., 1983, Contre l’arbitraire du signe, Paris, Didier-Erudition.

2

Date de dernière mise à jour : 27/07/2025

Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

Anti-spam